Maintenant avec 100% d’atelier en plus

Premier petit compte rendu de restauration sur cette nouvelle mouture de mon espace personnel. La perspective me remplit de joie 🙂

Premier coupable, ce « Bec à Rodez ».

Donc, on a affaire à un rasoir de fabrication française, seconde moitié du 20° siècle a priori. Les chasses ne sont vraisemblablement pas d’origine, et sont faites d’un mauvais celluloïd qui, laissé dans son coin a généré ce que l’on appelle dans le jargon du cell rot, une forme d’attaque corrosive en nuage (que l’on verra mieux sur le rasoir suivant j’espère, la lame n’était pas encore attaquée au moment de cette photo).

Bec n’est probablement pas un forgeron, sans doute un coutelier détaillant ou un vendeur de cosmétiques, dont on retrouve le nom chez une famille de fleuristes. Certains couteaux de Laguiole auraient été vendus avec le badge Bec à Rodez également il semblerait.

Ce qui nous éclaire sur la provenance, c’est donc vraisemblablement de la fabrication thiernoise. Mais alors, ne me demandez pas qui a produit cette lame, je serais obligé de vous dire « sans doute ni Le Grelot ni Thiers Issard », pas plus.

Lors de l’achat, j’avais été séduit par l’état de la dorure et le dos « plat »

ainsi que l’extraordinaire rigidité de la lame.

Deuxième candidat, un classique Thiers Issard modèle Loup et Bélier, en largeur 6/8″ par là (ça pourrait être du 13/16, j’aime pas assez les TI pour vérifier).

 

Joli hein ? Bon, alors oui, mais c’est exactement le problème de ces vieilles chasses en cellulo, c’était beau mais assez cheap. Le matériau se décompose en lachant un nuage acide qui attaque la lame

On le voit peu ici, mais les petits points sont du cell rot et là encore la photo est avant les gros dégats.

Thiers Issard, c’est un peu une des « valeurs sures ». Je veux dire, j’ai refourgué du TI tant et plus autant à des débutants que des pogonotomes chevronnés (notamment un magnifique TI Spartacus en 15/16, une vraie bête). Aujourd’hui, l’entreprise est la dernière entreprise française à produire du rasoir de série.

Le modèle « Loup et Bélier », je ne l’ai pas encore essayé, il est systématiquement vendu comme étant en Sheffield Silver, un acier anglais absolument excellent quand on en fait bon usage.

Je n’ai pas grand espoir, aucun TI n’a jamais été une très bonne surprise pour moi, ma peau les tolère très mal.

Dernier candidat, le candidat surprise !

Euh… Le truc à gauche ?

On dirait pas comme ça, mais dans la photo ci dessus, il y a de très belles choses. Le troisième manche est en ivoire par exemple. Il a fini sur le deuxième rasoir qui est lui aussi exceptionnel.

Mais alors, quand je débutais, le truc à gauche, je savais que c’était vieux, mais j’avais du mal à estimer ce que j’avais entre les mains, et personne ne m’a dit de surtout toucher à rien.

Aussi, alors que je déballais mes lames dans mon nouvel atelier, je suis retombé dessus sans ses chasses… Et vous allez voir la surprise…

Dechassage

Si ça intéresse quelqu’un, je ferai un topo sur le dechassage un de ces quatre, avec ma méthode qui n’est peut être pas la meilleure.

C’est pas une étape systématique, voire on évite de le faire dans certains cas. Typiquement quand on travaille avec des chasses fragiles ou fragilisées (nacre, ivoire, etc) par exemple.

Là, avec le cell rot pas possible de les laisser, d’autant que les blanches du Bec à Rodez sont vraiment très moches.

Allez, hop

Grosso modo on attaque les rivets avec une meulette à découpe et après on chasse le rivet, souvent en perçant avec un foret de 1,5mm.

Derouillage

C’est une chose que tout le monde peut faire chez soi sans grande difficulté.

La première étape consiste à frotter le rasoir avec de la pierre blanche, ou pierre d’argile, ou pierre d’argent, bref, ce savon légèrement abrasif naturel que l’on peut trouver dans à peu près n’importe quel magasin qui a un rayon produits d’entretien, en particulier dans la section « BIO ». Oui, BIO parce que c’est essentiellement de l’argile et du savon. Naturel, le savon, je suppose (enfin, vous savez, le BIO et son marketting…).

Bon, malheureusement c’est une étape qui fera toujours des dégâts sur les dorures (le motif sur la lame) superficielles. Pas toujours pour le pire d’ailleurs. 

Ici le Thiers Issard va perdre les parties dorées et voir le motif s’estomper. C’est moins flagrant pour le Bec.

Ensuite, on prend du Dégripoil (comme on disait avant) ou du WD 40 (comme on dit maintenant), et une lame en acier (comme par exemple une autre lame en sale état), et on gratte

Et la rouille coule sur le plan de travail

Haaaaaaaaaa, on va pouvoir regarder ça de plus près !

G. SMITH ? Faudrait se renseigner, mais visiblement des Smith il y en a pas mal a l’époque qui font des rasoirs, et pour cause, Smith veut dire Forgeron. J’ai cru croiser des G. SMITH ACIER FONDU, donc France ou export France ? Je penche pour France, imitation anglaise, sans certitude.

Non, ce qu’on voit maintenant, c’est qu’on a une lame milieu de gamme en plutôt bon état de conservation… Pour un rasoir qui date de la révolution française !

Les formes de lame avant 1800 sont plus gauches, souvent guère plus qu’une « trompette ». La présence d’un ventre (smile) et l’absence d’un méplat marqué sur le dos laissent penser que ce rasoir a été peu affûté et donc peu usé.

Milieu de gamme, parce qu’à cette époque on sait déjà, en Angleterre, faire des choses bien somptueuses (incluant écaille de tortue et galuchat le plus souvent ), mais les chasses en corne flambée (je suppose, j’espère que…) et beaux rivets sortent la pièce du bas de gamme.

Bon, lui on le laisse tranquille pour l’instant, un coup d’huile et remisage.

Polissage

 Juste sur le Bec on va enlever un peu plus les pit stain (traces de corrosion) à l’arrière de la lame.

Pour ce faire, ce coup ci je vais utiliser des meulettes lentilles en silicone. 

Faciles a monter, faciles a utiliser, ces meulettes présentent deux points d’attention :

  • Elles peuvent laisser des traces notamment sur les attaques
  • Elles s’usent facilement, ici on voit celle que je viens d’utiliser sur une neuve 

    Deux passes pour deux grains progressifs. Ici le jeu est surtout de décaper un peu, je ne vise pas le poli miroir (que je fais aux pâtes Dialux).

    Nota : vache, quand même, la finition de l’emouture a été faite avec une machine abîmée… On dirait que le bas de la lame a été brossé…

    Bon bref, la on voit un peu (désolé) mieux les nuages d’oxydation, qui ont grêlé la lame. 

    Alors est-ce qu’on peut corriger ça, oui. Mais ça veut dire enlever sacrément de matière et ça c’est pas mon style, je trouve que ça dénature.

    Correction du fil

    On a rien de bien méchant honnêtement. 

    Le Bec a juste besoin de voir son biseau refait, ce qui est réglé en 25 aller retours bien rectilignes sur une pierre synthétique naniwa 1000.

    Après vérification le talon et le nez manquent de travail donc on rajoute quelques passes en pression roulante (rolling X pour les intimes), c’est a dire que l’on fait passer la pression du talon à la tête le long de la passe croisée.

    Plus de boulot sur le T-I mais pas tant que ça… 

    Surtout, il y a une petite dent d’un millimètre à corriger.

    Intermède : la polémique du scotch

    Faut-il, oui ou non, scotcher le dos d’un rasoir avant de l’affuter ?

    Avis personnel : si possible non, parce que c’est dégueulasse pour la pierre, et ça respecte pas grand chose… 

    Une exception à cette règle est chez moi une opération lourde sur le fil (comme une dent), parce qu’il faut enlever pas mal de matière sans trop abimer la géométrie. 

    Il y en a d’autres mais si possible des exceptions.

    Fin de l’intermède, merci professeur Parpoful

    … Mais je vous en prie. 

    Donc. Correction d’une dent du T-I sur naniwa 1000 avec du scotch d’électricien oui j’assume. 

    Affûtage

    On pourra toujours revoir les étapes a l’occasion, ici j’ai fait 

    • 50 (Bec) 75 (T-I) sur BBW
    • 100 sur coticule boueux
    • 100 sur coticule en dilution (avec un spray)
    • 100/100/100 sur Purple Slate (merci copain) boue/dilution/savon

    Pourquoi savon ? Ça nettoie la lame et la pierre, essentiellement. 

    Désinfection et test

    Je suis très sérieux sur la désinfection. J’utilise pour ce faire un gel médical appelé Hexanios (pour les connaisseurs, donc, une variante d’Anios).

    Ensuite il reste une grosse séance d’affilage. Je commence par 50 passes sur canevas pour terminer de nettoyer la lame et préparer le fil, et j’enchaine 200 a 300 passes sur cuir.

    Le Bec est ressorti fabuleusement. C’est une petite lame sympa qui crisse comme un évidé mais reste bien ferme sur le poil.

    L’autre, donc, est un Thiers Issard. Et c’est à peu près tout ce que j’ai a en dire.